Maroc : Eux et nous.

Plus vite on se convaincra du divorce terminal qui clive le peuple et les élites, toutes les élites, plus vite l'effet de catharsis extirpera du cœur des patriotes le venin de la frustration, de la hogra et du ressentiment. Les coulisses du Mondial ont une fois encore laissé éclater cette vérité simple : il n'existe plus de passerelles entre les dominants et les dominés. Le pays est secoué de son nord jusqu'à son sud de suppliques populaires appelant à un sfumato d'égalité, à une meilleure distribution de la valeur, mais cela n'arrangera rien. C’est désormais entendu, les entreprises jouissant de positions quasi monopolistiques ne baisseront pas leurs prix, les ministres ne rogneront pas sur leurs salaires, les élus ne lâcheront pas leurs 4x4 allemands et les parlementaires leurs généreux émoluments. Mieux, aux hordes d'affamés qui arpentent les rues marocaines sans but, les tenants de l'Olympe opposent le déni, le regard qui se détourne, la décomplexion assumée.

Il fallait voir les piliers du RNI trustant le premier rang du comité de candidature pour se plier à cette vieille évidence, le Maroc est un pays de castes. Les brahmanes voltigent tout là-haut, tandis que les intouchables continuent leurs excavations dans le trente-sixième sous-sol du délaissement. Leurs cris sont au mieux des miaulements inoffensifs, leurs appels de détresse des fritures passagères sur l'écran du Soft Power, d’un narcissisme d'Etat conçu pour en mettre plein les yeux à l'Étranger, pensé pour attirer des capitaux, de l'intérêt, dont nul hormis les brahmanes ne profitera jamais.



Les centaines de VIP, de parlementaires, de starlettes décérébrées, d'animateurs radio aux QI boiteux qui font gaiement la fête devant les pelouses russes en sont la preuve vivante. Cette petite smala de flatteurs remporte ses gallons à mesure que son entreprise d'abêtissement de la masse se fait concrète. A ces amuseurs on offre les gradins, les cotillons, les loges privées et les tribunes d'honneurs. Ils pourront y claquer les selfies et les bises de l'auto-congratulation ; ils pourront, à partir de St Petersburg et du stade Loujniki, narguer le petit peuple dont le cœur vibre d'un amour du pays qui n'a de justification que lui-même.

La raison aurait sans doute voulu que les milliards de la fédération assouvissent le rêve impensable de quelques centaines de jeunes déclassés qui se damneraient pour le drapeau, en leur permettant d’assister aux matchs des Lions. La raison aurait voulu qu'en lieu et place de deux speechs (sans saveur) de technocrates devant le congrès de la FIFA, une jeune fille ou un jeune garçon, de ceux que l'on croise dans les rues, exprime avec ses mots, avec ses faiblesses, avec sa candeur, l'inclination quasi mystique de ce peuple envers le ballon rond. Sans doute il ou elle aurait mieux convaincu que deux discours convenus, plats, décevants, trop rationnels, trop policés pour toucher une traître corde sensible.

Mais la raison ne préside en rien aux grands choix que l'on fait pour ce pays. La candidature au Mondial, il faut le dire, n'a pas été portée par la ferveur populaire. Elle s'est fabriquée loin très loin, dans des hauteurs stratosphériques. Elle s'est voulue un instrument de rayonnement en toc et cela s'est vu et cela s'est entendu.

Eux et nous donc. Le schisme est profond et continuera de s'accentuer. Que faire alors lorsque la représentation artificielle du citoyen participe au mieux à sa stagnation, au pis à sa régression ? Que faire lorsque les intérêts véritables du citoyen, sa santé, son éducation, ne croisent guère ceux, délirants, d’un happy few immunisé par sa puissance, par son réseau et par sa richesse aux réalités glauques du quotidien marocain ?

Une seule issue : puiser en soi la force d'être l'exact contraire de ce que cette proverbiale élite projette sur le plan des valeurs. Si celle-ci est destructrice, soyons bâtisseurs ; si celle-ci est immorale, soyons éthiques ; si celle-ci est corrompue, soyons probes, intègres ; si celle-ci salit, nettoyons ; si celle-ci est paresseuse, inéquitable, injuste, soyons appliqués, travailleurs et impartiaux ; si celle-ci est népotique, assoiffée de lucre et championne en favoritisme ; soyons légalistes, mesurés dans nos ambitions, mutualistes, altruistes.

Le salut ne viendra pas d'eux, ce train est parti pour ne plus revenir. Le salut émanera de nous. Notre exemplarité leur tendra le miroir insoutenable de leur laideur. 
Avançons. 
Sans eux !


Réda Dalil






 Mon livre "Ce Maroc que l'on refuse de voir" est disponible dans toutes les librairies.



Commentaires

Fatima Ez-zahra AABIK a dit…
Merci mon dieu pour cette plume ... ordonner les mots de sorte à exprimer le juste ressenti et vécu de nombreux ... puiser en nous ? Je me trouve puisée et désabusée pour le peu qu'il me reste à 'vivre' ...
cherfaoui najib a dit…
c'est tellement bien écrit pour expliquer la lecture de l'actualité avec dignité: merci pour ce superbe effort correcteur de la myopie ambiante.
Bouayad a dit…
J'ai connu une seule personne égalant votre plume, feu le journaliste Boukhalef Abdelali.. La vérité dans un écrin de grande beauté et d'une préciosité sans pareil.

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