Maroc : Jeunes, excellents et pourtant...



Pathétique. Oui, il est vraiment pathétique de constater qu’une école de l'excellence comme l'ISCAE siphonne des millions de dirhams dans les petites bourses des ménages populaires pour renflouer ses caisses à coups de concours payants, hissant les seuils d'admissibilité à des hauteurs absurdes (18/20 de moyenne), alors que des milliers de bacheliers méritants sont acculés à noyer leurs ambitions dans des facultés ravagées, médiocres, véritables usines à chômeurs. L'ISCAE, face à la polémique, a décidé de rembourser les postulants malheureux. Mais le mal est fait.

Qu'on le sache, il faut désormais avoir les neurones d'un Bill Gates pour intégrer une école d'archi, l'EMI, l'ISCAE, l'ENCG, l'INSEA. Alors que ce pays paie un lourd tribut au sous-développement pour ne disposer que d'une infime élite académique ; alors que ce pays a besoin de cadres sup', d'ingénieurs, de professions libérales de qualité, on accule des jeunes méritants, aux notes plus qu'honorables, à des voies de garage pour avoir eu le malheur de dérocher un Bac à 14, 15 ou même 16 de moyenne. A l’époque du digital et des MOOC,  au Maroc, une vie d’échec ou de réussite se joue souvent à quelques décimales près. Affligeant !

De plus en plus, un bruit de fond postule qu'il faudrait rendre les universités non-sélectives payantes afin d’en doper la compétitivité. Balivernes ! Ces établissements mités par des professeurs démotivés, des infrastructures sentant la naphtaline et une dégradation terminale de la qualité des curriculums sont le symbole même de l'échec. La vraie stratégie gagnante consisterait à rendre les écoles supérieures publiques de l'excellence payantes, d'y admettre des élèves à 14 de moyenne au Bac et d'en financer les quatre ans d'études par un prêt intégralement garanti par l'Etat.


Les pouvoirs publics l'ont bien fait pour ouvrir  l'accès au logement social aux classes défavorisées, via le crédit Fogarim, chose qui a immensément enrichi les promoteurs et les banques sans déstabiliser le budget l'Etat. Car si un acquéreur de logement social au revenu incertain offre un profil de risque élevé, l'étudiant qui portera la toge, la toque et l’écharpe de l'ISCAE, de l'EMI, de l'INSEA, filière dite "Zéro chômage", représente de l'or en barre : remboursement garanti, fidélité à la banque pourvoyeuse de fonds, relance de l’économie grâce à une fournée substantielle de diplômés cracks…



Chaque année, les écoles secondaires publiques et privées produisent 230.000 bacheliers. Sur cette population, supposons que 50.000 décrochent leur bac avec 14 de moyenne et plus. Mettons que les frais de scolarité pour les quatre ans d'études en grande école sont fixés à 200.000 dirhams. Ce seront donc 50.000 dirhams par an et par élève qu'il faudra financer et dont l’Etat devra se porter garant. Autrement dit 2,5 milliards de dirhams annuels. Une goutte, une bagatelle, une misère. Comparés aux niches fiscales servies aux entreprises (32 milliards de dirhams), les 2,5 milliards font pâle figure. Mieux, il s'agit-là d'un prêt garanti par l'Etat et remboursable aux banques à un taux ultra-préférentiel, c’est à dire n’occasionnant aucune dépense publique supplémentaire. Aucune !

Avec des recettes qui explosent, les ISCAE, EMI, INSEA et autres, radines en places, regardant de haut des bacheliers assoiffés de formation solides, soucieuses d’optimiser des budgets de fonctionnement étriquée (l'Etat considérant tout dirham misé dans l'enseignement comme une dépense plutôt qu'un investissement) pourraient massivement élargir leur capacités d’admission, recruter un personnel enseignant trié sur le volet, agrandir leurs internats, se déployer sur tout le territoire, allant au plus près de l’étudiant doué, mais impécunieux.

A Tanger, à Fès, à Meknès, à Laâyoune, à Oujda, à El Hoceima, elles se déplaceront pour absorber l'excellence des régions, plutôt que de chipoter sur quelques centaines de places disponibles par an. Ce maillage territorial vertueux donnerait corps à la régionalisation avancée chimérique que l’on nous ressasse à longueur de discours officiel sans traduction dans la réalité.

Le programme « crédit étudiant garanti systématique» (CEGS) enclenché, ce seront 50.000 profils brillants, d'élite, polyglottes, rompus aux nouvelles technologies, qui chaque année enrichiront notre base de talents, si rares, si rachitiques aujourd'hui. Un demi-million en dix ans. On imagine à peine les effets multiplicateurs de cette injection de compétences dans l’organisme anémiée d'un pays où le taux de scolarisation des 18-22 ans n'est que de 35%.

En garantissant les prêts d'études aux taux de défaillance prévisionnels quasiment nuls, l'Etat alignerait son discours grandiloquent servi à coups de "la jeunesse notre force vive", "nous avons confiance en nos jeunes", d'actes concrets, d'un vrai pacte de confiance. Du sérieux, du béton en lieu et place d’une langue de bois vomitive.

Les décideurs dormeurs, assoupis dans leurs bureaux r'batis ont là le moyen d'injecter de la confiance dans la technostructure du Pouvoir, caste ayant définitivement divorcé du peuple à la faveur de bilans honteux, d’absence d’empathie avec la grande déprime populaire.

L'excellence aujourd’hui combattue mérite un soutien et c'est maintenant ou jamais. Multipliez les places dans les grandes écoles, allez vers les régions, baissez les seuils d’admission à 14 de moyenne, rendez le système payant et garantissez les prêts étudiants, vous verrez le pays s’illuminer des couleurs de l’espoir retrouvé. Bâtissez une rampe de lancement à une jeunesse méritante, mais si méprisée, si écartée, si condamnée à vivre de pis-aller. Elle retrouvera peut-être ce patriotisme béat qui vous émoustille tant.

Cette léthargie mortelle n'a que trop duré.
Réveillez-vous enfin !

Ou dormez jusqu’à l’éternité.

Réda Dalil






Mon livre, "Ce Maroc que l'on refuse de voir", est disponible dans toutes les librairies.

Commentaires

Anonyme a dit…
c est un beau programme pour dynamiser le systeme.vous presentez egalement des mesures conretes faisables.mais en vous referant aux notes vous oubliez un detail important.les notes obtenues par tous les candidats sans exception ne refletent aucunement les connaissances et les capacites des laureats.ces notes sont systematiquement gonflees en reponse a une criminelle concurrence entre les etablissements les academies et les regions.de ce fait une majorite des eleves admis ne le sont que pour gonfler les pourcentages et les chiffres de reussite proclames triomhalement par le ministere.vous parlez egalement de bonne fois de professeurs tries sur le volet. ora part une faible minorite ou les trouver ces oiseaux rares.avec le mode de formation dans les etablissements du superieur on cree artificiellement des cadres creux indigents se payant d une theorie debridee mal assimilee.en fait le systeme entier est gangrene.il tourne dans le vide pour leurrer tromper.la formation dont vous parlez la mise en valeur que vous citez l emergence de l excellence que vous attendez sans des chimers dont un systeme qui vit de gros mensonges.mensonge de la qualite mensonge de la generalisation mensonge de la relation formation emploi.dans notre maroc on gere la chose economique sociale politique par le mensonge la rouerie et la menace voilee.pourquoi ne pas conduire cette recette qui a fait sa preuve dans tous les secteurs de la vie
Anonyme a dit…
Mis a part les notes, qui peuvent des fois refleter le vrai niveau des etudiants ou pas, votre solution n'est pas une alternative et n'est en rien une solution pour le citoyen marocain. Si ces ecoles deviennent payantes, il vaudrait pour les marocains de sortir et investir leur argent a l'etranger. Et etant un ancien banquier, le programme Fogarim est loin d'etre un succes pour le citoyen. Les logements sociaux deviennent rapidement des guettos typique des bosquets de la banlieu parisienne. Vous proposez une alternative basee sur les credits bancaires usuraires...la dette actuelle de l'Etat aupres des institutions financieres imposee au citoyen ne vous suffit pas-t-elle ?
Anonyme a dit…
"Le fait de faire payer le concours est une arnaque des plus évidentes bien sûr surtout quand on reçoit des milliers de dossiers tout en sachant qu'on ne va retenir que quelques dizaines. Mais la solution miracle que vous proposez est à mon sens une autre imposture d'autant plus dangereuse qu'elle berce les bacheliers marocains dans l'illusion de l'excellence et les fixe dans le rôle ,éternel et confortable pour beaucoup, de la victime opprimée par les engrenages officiels de la formation de l'élite. Le vrai coupable est celui qui sème le désespoir dans le coeur des jeunes sans dénoncer le vrai coupable; et ce coupable est le Ministère de l'Education nationale qui profite des services alléchants du privé pour se délester de sa véritable mission: fabriquer l'élite. La joyeuse comédie à laquelle ont participé les parents et l'Etat a assez duré et il est tout à fait normal qu'elle s'achève par la désignation du dindon! On peu profiter d'un système vicieux tant qu'on veut mais on risque aussi de se faire prendre. Pour ne pas entrer dans des détails interminables sur l'état de l'école marocaine, je crois qu'il faut ajouter une condition pour renforcer votre solution et restaurer la fiabilité du profil des étudiants marocains: Ne considérer que les notes du régional et du national dans le calcul de la note finale du bac, et ce pour toutes les formations post-bac, y compris les prépa. A ce prix seulement, on peut espérer que le chantage des notes au privé puisse un jour prendre fin.

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