GMT+1 : heures et malheurs des Marocains.
Vu de loin
en effet, cette avalanche de colère donne l'impression que le peuple
souverain s'exprime d'une seule voix, qu'il pèse, qu'il infléchit,
qu'il ne lâche rien lorsqu'on touche à son bien-être, hélas rien n’est plus
faux. En réalité, jeunes et vieux sont conscients qu'il leur en coûterait
d'élever la voix pour dénoncer des sujets frappés d'une
sanctuarisation totale, ils savent qu’ils perdraient des plumes à
s'attaquer non pas à une banale histoire d’horloge, mais aux vraies racines de
la faillite : la rente, la corruption, les réflexes oligarques, les
instincts de castes. Cette énergie du désespoir, les citoyens
l'investissent dans des luttes qui ne prêtent pas à molestation physique, à
privation de liberté ; ils ont bien vu ce que cela coûtait de réclamer des
écoles, des hôpitaux, des salaires décents et des retraites honorables, du
coup, cette énergie, ils la cristallisent sur un changement de fuseau
horaire, un projet technique, neutre et qui plus est, natif d'une autorité
morte, démonétisée, impuissante et incapable de violence, de répression, celle
d'un chef du gouvernement portant sur le monde le regard effaré d'un lapin
pris dans les phares d'une voiture. Pendant que cet antihéros islamiste
s’enfonce, rétropédale, se dédit, improvise, les véritables dominants, eux, se
délectent sous cape de ses déboires, de sa guigne congénitale et de son
impressionnante capacité à creuser sa tombe politique sans le coup de pouce de
quiconque.
Au-delà de
l'inanité absolue de conserver l'heure d'été, de sa bêtise incarnée, de son
timing catastrophique, du bouleversement copernicien qu'elle impose aux
familles et à leurs enfants, la riposte radicale qu'elle suscite n’est qu’un
placebo, une révolte en trompe l’œil, une catharsis générale comme substitut au
silence forcé auquel nous sommes condamnés s'agissant des vraies
plaies de ce pays : le népotisme, la consanguinité des importants, le
clientélisme et la philosophie antisociale qui aspirent la vitalité
du royaume et amenuise ses aspirations à la démocratie et au progrès.
C'est précisément parce
qu’ouvrir cette boîte de Pandore diffuse une peur sourde dans les ventres qu’on
se rabat sur des contestations de la marge, des batailles non engageantes, des
guerres sans enjeux, mais qui font illusion, donnent cette délicieuse
impression que rien, qu'aucune décision n'est incontestable, que dans notre
cheminement tranquille vers la démocratie, les droits de l’homme, la reddition
des comptes, la justice sociale et la croissance inclusive, tout est possible,
tous les mots sont prononçables, toutes les lignes rouges amovibles, toutes les
critiques bienvenues.. Douce chimère…
Ces
épanchements sincères de citoyens en rage sur les ondes radiophoniques, ces
images de milliers de jeunes refusant de fouler les enceintes des lycées, ces
slogans vindicatifs, laissent accroire que les tabous ont explosé, que l’on
peut tout dire, mais tout cela fonctionne à la manière d’un village Potemkine.
Au fond chacun sait que le punching-ball Othmani n'est qu'un polichinelle perdu
au milieu d’enjeux dont il n’aura jamais idée, et qu’il disparaîtra dans les
plis de l’oubli une fois ses deux trois répliques de comédien consentant
déclamées. Au bout du bout, le gouvernement finira bien
par abroger ce décret aberrant encouragé en cela par une autorité qui
le dépasse. Une intervention au bon moment viendra casser cette initiative
folle, car il est toujours imprudent de laisser essaimer, proliférer, se
galvaniser une contestation de jeunes affranchis de tout encadrement et dont
nul ne peut prédire l’intensité future, mais cela ne changera rien au fond du
problème.
Aux heures
et malheurs des Marocains.
Rien du tout.
Réda Dalil
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