La revanche inattendue du déclassé
Le revers
de la médaille de la domination des élites, autrement dit
l'institutionnalisation de la supériorité d'une catégorie sociale
ultra-minoritaire sur l'écrasante majorité de la population, livrée à l'école
de l'échec, c'est l'inexistence d'un marché viable, porteur, dynamique.
Crétiniser
un peuple l'empêche d'accéder à la consommation de masse, à la réflexion,
à la mobilité, toutes choses dont une économie de marché à besoin
à profusion. Au fond, nos élites plurilinguistiques en costard-cravate ne
proposent leurs produits qu’à leurs semblables. Un minuscule écosystème
comptant quelques dizaines de milliers de consommateurs éduqués, hors-sol,
polyglottes, francophones, voire anglophones, au pouvoir d'achat solide, mais
qui forment un segment hyper restreint sur lequel aucun business
modèle n'est constructible.
Les
autres, cantonnés à une économie de subsistance n'ont accès qu'à
un logement social, filière dominée par 4 milliardaires
artificiellement engraissés, ou a de menus services bancaires, là encore,
sphère monopolisée par une petite brochette de financiers ultra-fortunés. Les
Marocains sont coutumiers de cet adage caricatural, mais néanmoins juste :
"Au Maroc rien ne marche sauf la bouffe". Même les grandes
surfaces dans une certaine mesure sont inaccessibles aux masses.
La
vengeance de « l'ex-indigène », théorisé par Lyautey comme
un citoyen de seconde classe, devenu de nos jours "l'indigent
éternel" est, au fond, d'une simplicité voire d'un cynisme absolu. C’est
l’effet boomerang dans toute sa splendeur. Son message tacite est le suivant :
"vous autres tenants des castes supérieures pouvez produire, innover,
créer, écrire, faire de la recherche, investir, peindre que jamais au
grand jamais vous n'atteindrez une masse critique d'intérêt ou un volume de
ventes assurant une quelconque pérennité de votre activité ; vous ne déploierez aucune
start-up à grande échelle, aucune idée innovante ne se muera en industrie, aucun
livre ne sera un best-seller, aucun journal ne rêvera
d'autosuffisance financière, le clic adsense au Maroc ne dépassera jamais
le dixième de centime, il ne s'enfantera rien de neuf, rien, nous ne
consommerons que ce qui répond directement à un besoin biologique, de
transport, d'alimentation ou d'habitat, rien d'autre que du générique, de la
base ; même cette finance halal dont vous fantasmiez de nous refourguer les
instruments vous explose au visage ; vos colifichets, vos gadgets une
fois produits deviennent aussitôt caducs ; nous sommes 34
millions, mais nous ne sommes pas un marché, même ceux d'entre nous qui
travaillent sont 90 % à toucher moins de 6000 dirhams bruts par mois, salaire
du reste dévoré par le surendettement...
C'est bien
simple nous n'avons pas les moyens de "vos" ambitions, vous
investissez votre argent, nous vous promettons la faillite.
C'est là
notre effet papillon.
C'est là notre justice poétique.
C'est là notre justice poétique.
C'est là
notre petite revanche.
Sans rancune !"
Sans rancune !"
Réda Dalil
Commentaires