Benchaâboun ou le fantôme de Thatcher

TINA: There Is No Alternative. Il n’existe pas d’alternative. Tel était le slogan de Margaret Thatcher dans les années 80. Convaincue que les idéologies politiques trop brinquebalantes, trop orientées, pas assez scientifiques ne pouvaient proposer des modèles de développement efficaces, la Dame de fer a soumis le Royaume-Uni à une cure d’hyperlibéralisme aveugle mâtinée d’une austérité d’airain: privatisation des biens collectifs et des monopoles d’Etat, délégation des externalités (négatives) au privé, déréglementation à tout-va, dérégulation méthodique. Conséquence: un citoyen britannique livré pieds et poings liés à la dure loi du marché. TINA, c’est payer pour se soigner, pour éduquer ses enfants, pour se déplacer, pour s’assurer une retraite par capitalisation; TINA c’est siphonner les poches des contribuables. TINA, un acronyme qui sied comme un gant à ce qui apparaît d’ores et déjà comme le mode d’action de notre nouveau ministre des Finances. Les sirènes du tout-social trompetées ces derniers temps urbi et orbi ont sans doute convaincu quelques idéalistes, survivants mentaux d’une ère où le socialisme triomphant promettait le grand soir, que Mohamed Benchaâboun trouverait le moyen de contourner TINA pour injecter de la ressource dans le système de protection sociale, qu’il déploierait des trésors d’ingéniosité pour faire de la Loi de finances 2019 un exemple d’allocation des ressources en direction des plus fragiles.
Il n’en sera rien. TINA, il n’y a pas d’alternative.
Les premiers pas de l’ex-banquier furent trempés dans le néolibéralisme le plus classique, le moins novateur, le plus décevant. Sa recette: amputer le budget de 40 milliards pour rembourser les crédits TVA aux grandes entreprises publiques dont les dettes sont garanties, baisser l’IS sur la tranche d’entreprises dégageant entre 300.000 et 1 million de dirhams, promettre une réduction (mais quand?) des délais de paiement, perpétuer les zones franches, ces «no tax zones» apanage exclusif des firmes internationales, pérenniser les grands projets d’infrastructures aussi coûteux que peu générateurs d’emplois, et bientôt enclencher une nouvelle vague de privatisations.


Business as usual! Benchaâboune n’est en somme qu’un autre Boussaid, un technocrate walrasien respectable du reste, maniant l’arithmétique des budgets avec dextérité certes, mais désespérément acquis aux thèses de la non-intervention, de la main invisible, de la politique de l’offre, de l’ouverture au commerce international, des accords de libre-échange perdant-gagnant. Prisonnier d’une camisole mentale ultralibérale, véritable catéchisme des politiques publiques marocaines depuis trois décennies, Benchaâboun apportera gentiment sa petite brique à l’édifice de l’antisocial. Peu importe que le pays convulse, que le pouvoir d’achat devienne microscopique, l’IR ne baissera pas, le SMIG ne bougera pas, les retraites ne s’amélioreront pas, et on ne régulera ni les écoles privées ni les cliniques (bientôt étrangères) hors de prix. TINA, la potion du FMI et de la Banque mondiale, sera avalée cul sec par le bon élève Benchaâboun. Suffit de voir une récente photo de l’ex-banquier ceinturé par le DG de la Banque mondiale et Christine Lagarde pour comprendre que, comme le dit l’empêcheur de tourner la planche à billets en rond Abdellatif Jouahri, «les dépenses sociales c’est bien, mais il ne faut pas jouer avec les équilibres macroéconomiques». Quels sont-ils ces équilibres? Un taux d’endettement public de 65% du PIB (génial) et un déficit de 3,6% (formidable); mieux que la France, l’Espagne, l’Amérique, le Japon. Oui, mieux que les pays riches, mais à quoi bon dans une terre où le bien-être est un mirage, où le taux d’emploi n’est que de 46%, où le salaire médian dans le privé est de 2.500 dirhams, où les rails, les hôpitaux et les écoles s’oxydent à vue d’œil, où les «ni-ni» sont au nombre de 2,7 millions, où en un peu plus de quinze ans, 6 millions de jeunes ont abandonné l’école, où – du fait de la paralysie de l’ascenseur social – il faut sept générations à une famille pauvre pour basculer dans la classe moyenne inférieure, où l’enseignement, le logement, l’université, la justice, tous les services publics croulent sous des tombereaux d’inefficacité, de gouvernance viciée et surtout d’une avarice dans l’injection des moyens…
Qu’à cela ne tienne, les apparences sont sauves, le malade mourra guéri. La Banque mondiale, malgré l’emphase qu’elle met désormais (pour la forme) sur le capital humain, remettra solennellement à Benchaâboun son bon point de réducteur de dette, de gestionnaire étriqué des finances publiques, de pourfendeur de toute politique expansionniste. Le ministre le sait, d’où son sourire satisfait sur la photo-souvenir (voir page 12). Le corps social peut bien s’ébrouer, souffrir, hurler, TINA prévaudra, seigneuriale, triomphale, éternellement invaincue.
Il n’y aura pas d’alternative.
Il n’y a pas d’alternative.
TINA.

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