GMT+1 : heures et malheurs des Marocains.



 Saâdeddine El Othmani, il faut le soupçonner, a pris là sa première décision autonome. Au nom des intérêts énergétiques suprêmes de la nation et enhardi par une étude grotesque, bâclée, il a décrété que lui, chef du gouvernement, pouvait engager le pays, impulser, imprimer. Peut-être s'est-il illusionné que son coup de force décidé à la va-vite aurait aussi le mérite de plaire en haut lieu, de démontrer l'existence d'une colonne vertébrale, d'une personnalité, d'un courage politique ? Sans doute voulait-il  en outre apporter la preuve à ses frères de parti que ses gestes n'étaient pas intégralement imposés par le diktat de puissances opaques, tentaculaires et ultra-dominantes. Qu’il n’ait pas consulté les citoyens avant de maintenir le GMT+1 importait peu, le citoyen est si peu saisi après tout. C’est bien connu au Maroc on décide d’abord au nom des intérêts suprêmes de la nation, rarement de ceux qui la peuplent. Les Marocains y sont accoutumés, ils encaisseraient c’est sûr. Grossière erreur. Le contrecoup qui s’ensuivrait serait orgiaque. Les chutes de Niagara. Surfant sur la gronde populaire, les médias organiques, diffuseurs de la parole officielle, taillent en pièces l’ « Exécutant en chef », le vitrifient au nom d'une supposée liberté d'expression, de parole, de subversion.

Vu de loin en effet, cette avalanche  de colère donne l'impression que le peuple souverain s'exprime d'une seule voix, qu'il pèse, qu'il infléchit, qu'il ne lâche rien lorsqu'on touche à son bien-être, hélas rien n’est plus faux. En réalité, jeunes et vieux sont conscients qu'il leur en coûterait d'élever la voix pour dénoncer des sujets frappés d'une sanctuarisation totale, ils savent qu’ils perdraient des plumes à s'attaquer non pas à une banale histoire d’horloge, mais aux vraies racines de la faillite : la rente, la corruption, les réflexes oligarques, les instincts de castes. Cette énergie du désespoir, les citoyens l'investissent dans des luttes qui ne prêtent pas à molestation physique, à privation de liberté ; ils ont bien vu ce que cela coûtait de réclamer des écoles, des hôpitaux, des salaires décents et des retraites honorables, du coup, cette énergie, ils la cristallisent sur un changement de fuseau horaire, un projet technique, neutre et qui plus est, natif d'une autorité morte, démonétisée, impuissante et incapable de violence, de répression, celle d'un chef du gouvernement portant sur le monde le regard effaré d'un lapin pris dans les phares d'une voiture. Pendant que cet antihéros islamiste s’enfonce, rétropédale, se dédit, improvise, les véritables dominants, eux, se délectent sous cape de ses déboires, de sa guigne congénitale et de son impressionnante capacité à creuser sa tombe politique sans le coup de pouce de quiconque.




Au-delà de l'inanité absolue de conserver l'heure d'été, de sa bêtise incarnée, de son timing catastrophique, du bouleversement copernicien qu'elle impose aux familles et à leurs enfants, la riposte radicale qu'elle suscite n’est qu’un placebo, une révolte en trompe l’œil, une catharsis générale comme substitut au silence forcé auquel nous sommes condamnés s'agissant des vraies plaies de ce pays : le népotisme, la consanguinité des importants, le clientélisme et la philosophie antisociale qui aspirent la vitalité du royaume et amenuise ses aspirations à la démocratie et au progrès.

C'est précisément parce qu’ouvrir cette boîte de Pandore diffuse une peur sourde dans les ventres qu’on se rabat sur des contestations de la marge, des batailles non engageantes, des guerres sans enjeux, mais qui font illusion, donnent cette délicieuse impression que rien, qu'aucune décision n'est incontestable, que dans notre cheminement tranquille vers la démocratie, les droits de l’homme, la reddition des comptes, la justice sociale et la croissance inclusive, tout est possible, tous les mots sont prononçables, toutes les lignes rouges amovibles, toutes les critiques bienvenues.. Douce chimère…

Ces épanchements sincères de citoyens en rage sur les ondes radiophoniques, ces images de milliers de jeunes refusant de fouler les enceintes des lycées, ces slogans vindicatifs, laissent accroire que les tabous ont explosé, que l’on peut tout dire, mais tout cela fonctionne à la manière d’un village Potemkine. Au fond chacun sait que le punching-ball Othmani n'est qu'un polichinelle perdu au milieu d’enjeux dont il n’aura jamais idée, et qu’il disparaîtra dans les plis de l’oubli une fois ses deux trois répliques de comédien consentant déclamées. Au bout du bout, le gouvernement finira bien par abroger ce décret aberrant encouragé en cela par une autorité qui le dépasse. Une intervention au bon moment viendra casser cette initiative folle, car il est toujours imprudent de laisser essaimer, proliférer, se galvaniser une contestation de jeunes affranchis de tout encadrement et dont nul ne peut prédire l’intensité future, mais cela ne changera rien au fond du problème.
Aux heures et malheurs des Marocains.

Rien du tout.

Réda Dalil




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